Ce 22 septembre 2014 après
Jésus-Christ, à Nice, c’est à tout un peuple qui a déserté le mythique stade du
Ray, à qui l’on va demander d’applaudir le génie de l’Allianz Riviera, enceinte
dont la nissardité se ressent jusque dans le nom. Merci au naming, merci au XXIe
siècle. Il paraît que ça s’appelle le progrès. Je suis entièrement
d’accord avec cette explication qui nous est fournie, si la grande marche vers
l’avant signifie avoir ses racines coupées.
Pour célébrer le premier
anniversaire du baptême de ce nouveau jouet de l’intelligentsia niçoise, je
pense que chacun d’entre nous, supporters, se doit de faire un bilan de ce
déménagement vers le quartier de Saint-Isidore. Se demander ce que l’on a gagné
dans cette histoire, ce que l’OGC Nice a obtenu de plus, et peut-être,
éventuellement, ce que nous avons perdu. Car il y en a des choses à dire, à
regretter, à pleurer.
Autopsie du premier stade
français à avoir subi une ablation du cœur
On a abandonné cette pauvre
vieille aïeule qui, soi disant, n’avait plus rien à raconter après tout ce
qu’elle avait vécu. Et en échange, on l’a remplacée par une bimbo de mauvais
goût, attirante et sur laquelle on se retourne, mais avec peu de choses à dire
et à penser, et dont la plastique généreuse finira forcément par vite montrer
des signes de détériorations beaucoup plus prononcées que celles que pouvait
avoir notre ancêtre. Comme bon nombre de ces créatures, il a fallu sortir un
chéquier pharaonique pour l’obtenir. Ou du moins, penser qu’elle nous
appartient. Car non, le mac est là, et veille au grain : il peut se
permettre d’inviter d’autres personnes dans la danse ; le grand Toulon qui
laisse toujours le gazon de la
Belle en miettes, et d’autres futurs convives de la partouze
bling-bling qui durera des années. Il faut bien que polygamie rime avec
diversification et polyvalence, car Riviera n’a pas été engagée pour nous être
exclusive.
Mais pour prendre part à ce
triste anniversaire, il est indispensable de se replonger dans l’ambiance du
Ray, cette atmosphère unique et singulière qui a donné l’amour du Gym à des
générations entières de supporters. Oui, le Ray était l’une de ces antres
imprenables, un théâtre si particulier qu’il pouvait à lui seul symboliser et
résumer l’OGC Nice que l’on aimait. Le stade Léo-Lagrange avait pu, à lui-seul,
transmettre le virus : ce fut mon cas. Et je ne pense pas que je me serais
intéressé autant à ce club s’il avait toujours foulé l’Allianz Riviera.
Parce que le Ray, c’était le
parfum d’une pelouse cramée, l’odeur des fumigènes, le terrain de jeu d’un
effectif de guerriers qui jouait au football en représentant toute une ville et
un patrimoine. C’était la possibilité de se demander entre potes « bon
alors, qué fa ce soir ? », et de décider à l’improviste de caler au
stade, en montant Borriglione et Gorbella ou en tram, 15 minutes avant le coup
d’envoi en chopant des billets à l’arrache une fois sur place. C’était
l’assurance de pouvoir vivre des moments très forts, où tout se ressentait,
dans un climat bouillant d’effervescence populaire, dans la fièvre et la bonne
colère, celle qui fédère et qui fait que ton voisin est le même que toi pendant
90 minutes, supportant les mêmes couleurs. C’était le trait d’union entre la
culture de Nice et le football qui y était pratiqué pendant près d’un
siècle ; je me souviens un jour, avoir lu sur une page Internet, un ultra
déclarer la chose suivante : « chez nous, notre jeu est épicé, comme
notre cuisine ». C’était exactement ça. J’avais compris et j’ai été
envoûté un jour moi aussi. Et le Ray était la marmite géante et pimentée dans
laquelle on aimait cuire, et recevoir nos adversaires dans une ambiance chaude
et hostile, à la fois appréciée et redoutée. Depuis lors, son cœur, le rond
central du terrain, a été découpé et déplacé quelques kilomètres plus loin vers
Saint-Isidore, pour l’intégrer symboliquement à la pelouse du grand stade.
C’est beau.
Au final, qu’est-ce qui a
changé ? Le quartier de Saint-Isidore, plutôt que de donner son nom à une
enceinte sportive, allait se voir obligé de considérer les champs de blettes
comme des terrains inutiles et honteusement anachroniques, afin d’entrer dans
l’ère du goudron : Allianz, Ikea, du béton partout et des parkings à
foison, est-ce que le compte est bon ? On n’a peut-être pas émis
suffisamment de réserves sur l’utilité et l’esthétique douteuse de la nouvelle
arène tapageuse (Charles-Ehrmann n’a-t-il pas une capacité encore supérieure à
l’Allianz Riviera ?). On devait l’accepter. Et déguerpir de ce bon vieux
Ray qui avait tant de rouge et de noir à faire rayonner envers quiconque
n’avait pas encore attrapé le virus niçois.
Sauf que j’espère que personne
n’est dupe. Que le peuple de Nice commence à se rendre compte petit à petit de
la supercherie. C’est bien simple, il suffit de se livrer à de simples calculs
et d’évidentes comparaisons : fini les ambiances bouillantes, fini la ferveur,
les clameurs et les couleurs. Place au gris, au terne, au superflu. Et au
terrain neutre sur lequel l’OGC Nice livre des batailles de moins en moins
glorieuses.
N’y aurait-il pas, d’ailleurs,
un lien de cause à effet entre l’abandon du Ray et les résultats de plus en
plus inquiétants d’une équipe qui véhicule des valeurs en lesquelles on ne se
reconnaît même plus ? Ou serait-ce là les fruits d’une imposture d’un
Claude Puel angoissant, apparemment peu compatible avec la mentalité
niçoise ? Le Ray était imprenable, l’Allianz Riviera un château de sable
fait de matières high tech. Il ne faut pas avoir fait Harvard pour comprendre
que le soutien populaire n’agit plus, et que plus aucun adversaire n’a des
sueurs froides à l’idée de venir jouer à Nice. C’est un secret pour personne,
le public n’est plus le même, et les dirigeants ont tout fait pour qu’il en
soit ainsi, à partir du moment où les « fidèles » niçois se
plaignaient de la difficulté d’accès au stade.... Sûr, un tramway et quelques
kilomètres à pieds et quelques calories en moins pour les feignasses, c’était
l’Amérique.
Non, désormais, on veut du
confort. On veut des beaux sièges et une place de parking si possible. On veut
et on cautionne une friterie dans l’enceinte du stade (même un kébab aurait
fait nettement plus méditerranéen, n’en déplaise à ces baltringues de Nissa
Rebela auxquels les supporters de Nice sont souvent malheureusement associés –
à tort). Idem pour les éléments emblématiques de la culture niçoise, lorsqu’ils
ne sont pas récupérés de manière putassière, deviennent des produits folklos
pour familles de supporters lambdas et Parisiens perdus dans « le
Sud ». Personne ne s’est offusqué qu’à l’Allianz, on vende des
« pains bagnats » à la mayo ?
La sauce à laquelle on est
mangés ne me plaît guère. Avant, on pouvait se dire que l’on avait un stade
« latin » : maintenant, place au stade à l’anglaise, froid,
sécurisé contre barbares hooligans (on l’a bien vérifié lors de la réception de
Saint-Étienne la saison passée), vents violents et averses qui donnent le
rhume. Avant, on pouvait célébrer la folie d’un but et s’accrocher aux
grillages : maintenant, il faut se battre pour que son voisin ne vienne
pas jouer les gros bras et réclamer que « c’est ma place, mettez-vous
ailleurs », avec un sens de l’amabilité que l’on prête bien volontiers aux
locaux qui, manifestement, aiment s’embourgeoiser. Sûr, il vaut mieux remplir
le stade de 20 000 connards (et détenteurs de billets fantômes pour faire
gonfler les stats…) plutôt que 10 000 passionnés. 20 000, affluence
moyenne de l’Allianz. 19 000, affluence record du Ray. Quand le peuple
veut, il peut.
En 2014, c’est à un autre type
de public que l’OGC Nice est adressé. Ou plutôt vendu. Ce n’est pas la
communication désastreuse du club et les plans marketing nauséabonds qui feront
penser le contraire, que ce soit le fameux « demi-tarif pour femmes »
(à vomir de sexisme) ou bien la prise en otage d’enfants à qui l’on vend le
rêve nissart, invités à décider du nom d’un aigle censé représenter nos
couleurs, en passant par d’innombrables opérations dont la seule promotion est
celle de l’Euro. Sans parler du sieur Rivère, gentil gentleman fringant
catapulté dans un monde de requins, tout blanc, tout beau, qui nous vend de la
soupe pas populaire pour un sou.
Oui mais maintenant, on a un
aigle…
L’Euro. Avec ou sans
majuscule ; la monnaie, ou la compétition sportive qui la fait tomber.
Faites votre choix. Pas besoin d’être taxé de corbeau ou de vipère ; un an
après sa mise en place, il suffit d’un peu d’objectivité et de bon sens pour
considérer acquise la chose suivante : la seule légitimité de l’Allianz
Riviera, outre les sommes colossales dépensées, récoltées, engendrées et
espérées par le géant Vinci, c’est de faire rayonner notre ville un peu plus,
comme si elle ne vibrait pas suffisamment au son des faits-divers relayés
quotidiennement par Nice-Matin, via l’Euro 2016. Après tout, que le Gym cale en
Ligue 2 ou non, tout le monde s’en fout : l’Euro est là. Ça aura servi à
quelque chose. Mais il ne s’agit pas que de ça, mais de tout ce qui accompagne
ce changement. La présidence de plus en plus insoutenable de Rivère et son
double discours qui ne dupe plus grand monde, le diktat de Puel et ses choix
sportifs et humains proches du chaos (à se demander s’il n’a pas été recruté
pour une opération auto-mutilation...). Maintenant, au moins, on a une nouvelle
boutique qui rappelle un peu les points de vente Nespresso. Ça aura redoré le
blason de la 4ème ville de France, et celui de son maire-vedette.
Combien de fois ai-je entendu, lors de la campagne municipale, venant de
personnes d’ordinaire non-politisées, « Estrosi, je vote pour lui direct :
grâce à lui, on a le grand stade ! ». Comme Jean-Pierre Rivère, je
prends acte. Et me dis que le populisme bien manigancé a un magnifique
laboratoire à Nice.
Voilà pourquoi, pour toutes ces
raisons, il est difficile d’analyser ce changement d’ère niçois autrement que
comme une vaste supercherie, dans laquelle nous serions tous de bons gros
cons(ommateurs) et de dociles supporters à laine, malléables, enthousiastes et
aveugles comme des enfants à qui l’on tend un joli cadeau dont le paquet rougeoyant
ne contient qu’un rouleau de P.Q, acceptant que la culture niçoise et le
patrimoine local soient prostitués ou vendus à des personnes, à qui l’histoire
de l’OGC Nice n’appartient pas et n’appartiendra jamais.
Viva,
viva, viva Las Vegas !!
Ça aura beau faire chanter
Nissa la Bella
(avec l’aide des écrans géants, c’est mieux), ça aura beau essayer de récupérer
quelques supporters dubitatifs à coups de promos lamentables, ça aura beau être
qualifié de « plus belle arène de France » par Larqué, ça aura beau
changer de logo, faire voler des aigles et vendre du rêve sur un projet qui
n’existe pas, ce ne sera plus Nice. Du moins, plus celle qui elle, nous aura fait
rêver, notamment dans son enceinte mythique du Ray. Aujourd’hui, je vais me
rappeler de l’inauguration de ce sinistre stade : la victoire face à une
mauvaise équipe de ch’tis, j’y étais. Le premier but de notre attaquant vedette
Darío, mystérieusement sujet à de nombreuses blessures depuis quelques mois,
j’y étais aussi. Et vous, vous étiez là quand Patrick Bruel a entonné sa petite
« valse populaire » devant les milliers d’idiots trompés que nous
étions ?
D’une certaine manière, avec un
peu de projection et d’humour, on peut considérer que Bruel aura été le
fossoyeur de l’OGC Nice. Car l’Allianz Merda est un véritable cimetière, et le
22 septembre de l’année passée, on a définitivement tué le football populaire à
Nice. Avec tous les rituels passés et les moments qui se sont envolés et qui,
contrairement au volatile Méfi qui plaît tant aux enfants, n’auront pas une
main gantée vers qui se reposer après un atterrissage violent. Et ce n’est pas
être réac ni fermé ni utopiste que de le pointer du doigt.
Le Ray, tu me manques. C’est
grâce à toi que j’ai appris à aimer soutenir l’OGC Nice, à être fier de ses
couleurs. Où sont l’honneur et la fidélité de la soi disant « mentalità
nissarda » tout le temps prônée, jamais appliquée ? Sans toi, le Gym
est malade. Et ses supporters préfèrent se voiler la face en repensant à toi à
travers de vieilles photos, en se disant que l’avenir est là, que le pas en
avant est fait, que l’on va grandir, que l’on est mieux comme ça. Il n’en est rien. Nice a toujours
été et sera un club populaire, quoiqu’en disent les investisseurs, grandes
instances et décideurs de ce que l’on nous donne à manger. Pour ceux que ça
dérange, Monaco se situe à une vingtaine de kilomètres. Nous n’avons pas besoin
de ça, nous n’avions besoin de rien d’autre que de cultiver notre
particularisme, qui pouvait aussi bien passionner que déranger. Maintenant,
sans le Ray, tout sera neutre, sans vie, sans âme, sans rien : l’Allianz
divise, socialement, sportivement ; lui, ce vieil être que l’on a décrit
comme une ruine affreuse, unifiait. Dans une cité qui manquait déjà cruellement
de fraternité...
Le Gym ne donne plus envie
d’être supporté. Et nous nous en rendrons tous compte à un moment donné. Ce
jour-là, il n’y aura pas de commémoration, pas d’applaudissements, pas
d’opérations de com’ dégueulasse pour se servir honteusement de symboles
bafoués. C’est bien parce que nous aimons cette ville, que nous supportons ce
putain de club, que nous nous réservons le droit d’être amers, de refuser, de
boycotter, de ne pas être dupes. Et nous aimerions que ceux qui se sentent à
l’aise devant leur télé, ou dans les beaux sièges de l’Allianz à admirer un
futur spectacle d’orques à la mi-temps d’un match sans saveur, le réalisent une
bonne fois pour toutes avant qu’il ne soit trop tard : le Ray, le blason,
les couleurs, les hymnes, les chants, le bordel ambiant, les épices, le bruit,
la fièvre, le rouge et le noir, tout ça nous appartient encore pour le moment,
si nous en prenons conscience et que nous acceptons d’ouvrir les yeux, que nous
acceptons de refuser. Jusqu’au prochain assassinat, sans doute…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire